Chaque mois, Allindì propose à des réalisateurs, des comédiens, des producteurs ou des personnalités de sélectionner trois films issus de notre catalogue et d’expliquer, à nos abonnés, les raisons de ce choix.
→ Ce mois-ci, à l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon et de la mise en ligne de notre collection de films qui lui est dédiée, Jean-Guy Talamoni, Président de l’Assemblée de Corse, et Laurent Marcangeli, Maire d’Ajaccio, parlent de leur rapport à cet homme qui a tant marqué l’histoire et imprimé son empreinte sur l’île :
Voir la collection L’enfant prodigue de la gloire sur Allindì
Quand on me questionne sur mon «rapport à Napoléon» et à la famille Bonaparte, j’ai coutume de répondre que je préfère voir notre histoire célébrée plutôt que reniée. Vous comprendrez donc qu’en cette année de commémorations, je sois particulièrement heureux d’apprendre qu’Allindì adapte sa programmation au Bicentenaire de la mort de l’Empereur.
Comme pour beaucoup d’Ajacciens, mon rapport à Napoléon relève forcément d’une certaine intimité: il est unanimement reconnu comme le plus célèbre d’entre nous. Pour ma part, toute mon enfance a été bercée par sa légende. Je ne peux donc me résoudre à le considérer comme le tyran en colère, le belliciste dépourvu de toute morale comme ses détracteurs aiment à le dépeindre.
Napoléon est un Corse devenu Empereur.
Il a su se transcender pour devenir l’un des plus grands dirigeants du monde moderne. C’était un homme brillant que l’histoire juge sans doute trop durement. Napoléon lui-même a confié : « Ma vraie gloire n’est pas d’avoir gagné quarante batailles. Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code civil ! ».Bien heureusement, les institutions qu’il a créées fascinent autant que le conquérant qu’il demeure dans les mémoires… Jamais un homme n’a suscité autant d’intérêt et de débat. Tout le monde semble pourtant s’accorder sur un point : Napoléon est l’homme de tous les possibles, de toutes les ambitions. Sa correspondance enflammée avec Joséphine, relation impossible qui a failli le faire sombrer, participe d’ailleurs à la dimension mythologique et chevaleresque d’un personnage de film idéal.
Puisse la diffusion de ces œuvres être l’occasion de découvrir son mythe formidablement construit, le souvenir d’un apogée politique, économique, culturel, l’histoire d’une France puissante, rayonnante, celle du début du XIXe siècle…
Puisse la didactique de l’image permettre de comprendre la légende, celle d’un Ajaccien dont le nom s’est exporté dans le monde entier.
Puisse le cinéma permettre d’étudier l’homme sous toutes ses facettes, y compris les plus sombres de son histoire… Parce qu’on n’aime vraiment que ce que l’on connaît tout entier…
Bonne découverte à tous,
Laurent Marcangeli, maire d’Ajaccio et président de la Communauté d’Agglomération du Pays Ajaccien.
« Quel film que ma vie ! »
Cette paraphrase, quelque peu subvertie et anachronique, pourrait symboliser la permanente vivacité de la geste napoléonienne – par-delà les siècles et les genres artistiques –, ainsi que sa force propulsive demeurée miraculeusement intacte.
Aujourd’hui toutefois, les « élites » françaises conservent un rapport ambivalent à Napoléon. Les débats soulevés au moment du bicentenaire d’Austerlitz l’avaient révélé au grand jour. Ceux nés ces derniers mois le confirment. Napoléon n’est pas assumé à la hauteur de ce qu’il a été dans l’histoire de France. Pour autant, on ne souhaite pas le laisser à la Corse, occultant systématiquement – y compris dans les ouvrages scientifiques les plus sérieux – ce que son parcours doit à l’éducation politique qu’il reçut dans l’île. En somme, il serait trop sanglant pour être français et trop grand pour être corse…
Nos compatriotes sont eux-mêmes partagés : l’admiration pour ses faits glorieux, guerriers et politiques – dans un pays qui élève ces deux domaines au plus haut des activités humaines –, est contrebalancée par le sentiment d’avoir été oubliés, voire trahis et maltraités, par le grand personnage. En outre, l’opposition entre les deux figures majeures, Paoli et Napoléon, a été entretenue par une lecture simplifiante de l’histoire à laquelle le mouvement national corse n’est pas étranger. En effet, celui-ci présenta dès les années soixante un schéma que l’on pourrait résumer en quelques mots : « Paoli le héros, Napoléon le traître ». Cette lecture de l’histoire a sa part de légitimité. Elle est cependant réductrice. Désormais, le mouvement en question étant solidement installé dans le paysage politique, il est en mesure de proposer une approche plus complexe, laquelle a, ces dernières années, largement infusé au sein de la société corse. Cette démarche pourrait conduire à une forme de réconciliation symbolique entre les mémoires paolienne et napoléonienne, longtemps apparues en concurrence, si ce n’est en conflit. Le film Les Exilés de Rinatu Frassati (2015) témoigne de cette récente évolution, associant les deux géants de l’histoire dans une œuvre tout à la fois onirique et historique.
Nous sommes entrés cette année dans une séquence de commémoration de la mort de l’empereur. Commémorer c’est se souvenir et réfléchir ensemble sur un événement ou un personnage historique. À cet égard, la littérature, mais également le cinéma, constituent des domaines privilégiés dans lesquels nous pouvons nous plonger, voire nous perdre tant le corpus est en l’occurrence gigantesque.
Depuis le Napoléon d’Abel Gance, qui lors de son tournage à Ajaccio en 1925 avait suscité une incroyable ferveur populaire, jusqu’aux œuvres cinématographiques du XXIe siècle, le septième art nous conduit à une nécessaire méditation autour d’une question essentielle : en quoi Napoléon Bonaparte a-t-il influé sur ce que nous sommes aujourd’hui ?
« Quel roman pourtant que ma vie », se serait exclamé Napoléon, selon Las Cases (Le Mémorial de Sainte-Hélène).
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