C’est le temps de l’automne, de la cueillette aux champignons, quelques bûches, le bruit des flammes qui crépitent et arrive enfin le moment de la dégustation des châtaignes fraîchement ramassées dans la forêt. C’est le moment idéal pour enfiler sa plus belle Millet, ses chaussures de marche et partir à la découvertes des forêts qui se dénudent pour laisser place à de somptueuses couleurs chaudes qui nous rappellent l’univers magique de notre enfance.
Ce mois-ci, à l’occasion de la mise en ligne de notre collection magie, Jacqueline Acquaviva, docteure en langue et culture corse spécialisée en Anthropologie, répond à nos questions sur le lien entre forêt et magie.
Voir la collection de la forêt à la magie sur Allindì
Interview Jacqueline Acquaviva
(docteure en langue et culture Corse spécialisée en Anthropologie)
Existe t’il un lien entre forêt et magie ?
Jacqueline Acquaviva : “La magie de la Forêt repose sur le fait qu’elle impose une autre vision du Vivant, par le biais d’une multitudes interactions : végétales, animales, minérales mais on peut citer encore l’importance des courants d’eaux ou d’air, l’impact des ombres et des zones ensoleillées.
Chacune de ses composantes cohabitent dans une forme de cohérence qui échappe aux Hommes.
La Forêt renvoie à une cosmogonie à part entière, et rappelle à l’Homme qu’il a une place à définir parmi les Vivants. La forêt c’est aussi, dans l’imaginaire collectif, la perte des repères, la nuit, le rêve, ce qui sort de l’ordinaire : une dimension immaitrisable.
Aborder cet espace-temps inquiétant, demande une certaine attention, un certain courage ou une forme de sagesse. C’est aussi dans le domaine des rêves, des esprits, des peurs et des mauvaises rencontres. La forêt devient le lieu privilégié de bien des quêtes initiatiques.”
Pensez vous que le lien entre les deux est lié à notre enfance ?
“Notre imaginaire a été éduqué, dès notre plus jeune enfance, notamment par une langue, et les images qu’elle sous-tend. A furesta, u furesteru en Corse c’est ce qui est Fora, l’Etranger, l’Inconnu pourtant si près.
Habiter une île montagneuse, conditionne notre rapport aux intériorités et extériorités. Dès notre enfance, on nous éduque à une certaine notion des limites, du danger. Les fole et autres récits font mention d’animaux ou de personnages en rapport avec la Mort, notamment dans certains endroits comme les points d’eau de nuit (U Ghjattu Mommò, e Sciacquaghjole, i Lacramanti, a Squadra d’Arozza…)
Effectivement on peut jouer à se faire peur pour stimuler une certaine forme de courage, stimuler l’envie de dépasser ses propres limites. Entretenir le mystérieux, c’est aussi structurer un imaginaire propre à chaque collectif. En créant des limites entre ce qui est connu ou pas, ce qui est franchissable selon certaines modalités ou pas, c’est toute une culture que l’on participe à réinventer.”
Est-ce que dans un monde où la forêt disparaît et est remplacée par du béton, il existe encore un avenir pour la représentation du magique ?
“
Il y a sûrement aujourd’hui un investissement des imaginaires concernant le sauvage ou la forêt malmenés par la mondialisation.
Malgré tout, cette forêt de béton sauvage ne pourra jamais remplacer l’attirance pour ce grand mystère qu’est le Vivant. Le béton peut devenir un support pour l’imaginaire : il y aura toujours une faille, un béton qui s’effrite, plus ancien que les autres, il y aura toujours une façon de marquer une limite entre l’ancien, le connu, les changements à venir etc…
L’homme utilise son imaginaire pour créer des forêts, à l’image d’une Nature qu’il lui faut protéger des appétits féroces du prédateur qu’il est lui-même. Quelle vision anthropocentrée !
Dans notre légendaire, la Forêt et ses composantes, sont autant d’acteurs sociaux, qui s’opposent, ou aident les hommes. Si le béton, ou la macro agriculture mettent en danger nos forêts, ces dangers rappellent que l’Homme se positionne dans l’écosystème en tant qu’élément centrale et exclusif.
Or, l’érosion de la biodiversité ou le réchauffement climatique appellent également à réévaluer l’anthropocentrisme dominant, afin d’accepter d’agir avec ce qui est sauvage, en l’envisageant non plus comme une source d’exploitation mais comme une partie intégrante du Vivant que nous incarnons également.”
Les films à voir dans la collection forêt
Une forêt pour quoi faire; par Laurent Billard
Ce film met en valeur des solutions d’avenir pour la filière forêt et bois en Corse avec des portraits de professionnels, artisans, passionnés, engagés dans une démarche collective.
De l’Office National des forêts qui gère la forêt, aux architectes qui conçoivent progressivement des maisons en bois, en passant par des exploitants forestiers, ébénistes, menuisiers et les responsables d’U Legnu Vivu, l’interprofessionnel du bois récemment constitué. Il s’agit de l’évocation des problèmes et des pistes à suivre pour l’avenir.
À travers bois de Betty Polverelli
À travers bois” est l’image d’un monde à l’envers, une histoire pas très honnête. Elle se sert de l’arbre – l’être le plus fragile et le plus durable de la terre – pour parler encore et toujours d’un sentiment d’amour.
The body de Thierry De Peretti
Thierry De Peretti réalise ici une recherche cinématographique plus qu’un récit, le système de l’auteur est posé, un plan séquence où un groupe d’hommes cherche quelque chose ou quelqu’un, dans une forêt.
Chiens de Caroline Poggi
Dans un pays de montagnes et de forêts, un jeune homme ne reconnaît plus ses chiens.
Le cochon de Arnaud Dommerc
Abattage, dépeçage et charcutage de cochons dans un coin du maquis corse en 2010. Sans aucun point de vue moral ou sociologique, mais avec un point de vue politique, Arnaud Dommerc a filmé, impassible, des faits qui sont banals dans la vie des paysans corses
Mama ta de Dominique Maestrati
Streghe, une étrange photo de famille, de Dominique Tiberi
Au travers de photos familiales et des récits de son entourage la réalisatrice, Dominique Tiberi, nous conte l´histoire de Madeleine, une “streghe” crainte par tout un village.
Mauvais oeil de Anne de Giafferri et Gilles Blanchard
Les rites de conjuration contre le “mauvais œil” sont une pratique magique préventive, protectrice et curative qui fait partie intégrante de la culture corse et méditerranéenne. Du monde rural à celui urbain, ces pratiques préexistent et se transmettent aux jeunes générations corses, grecques ou marocaines. Accompagnant les rituels filmés, la parole de spécialistes (anthropologue, linguiste, psychanalyste, prêtre, directeur de clinique…) s’exprime sur le sujet.
Mauvais rêves de Anne de Giafferri et Gilles Blanchard
De toutes les vieilles croyances insulaires, celle des mazzeri est sans doute la plus mystérieuse. Ces héritiers d’un savoir occulte et irrationnel font partie de la mémoire collective corse. Les mazzeri, homme ou femme, sont dotés de pouvoirs et de facultés de voyances au cours d’état de transes hypnotiques, d’extases ou de sommeils, lors desquelles ils fréquentent l’au-delà. Le mazzerisme subsiste dans certaines régions du centre et du sud de la Corse, tels que le Cruzini et le Taravu. Les mazzeri sont les derniers témoins d’une religion du destin, de la fatalité, ce fatum que l’on retrouve dans le monde méditerranéen.
Mauvaises herbes de Anne de Giafferri et Gilles Blanchard
Les plantes sont dotées de pouvoirs et de propriétés médicinales, aromatiques et cosmétiques dont on retrouve chez les guérisseurs, les tradipraticiens ou les botanistes d’autrefois les connaissances d’une phythopharmacologie d’aujourd’hui. Les pharmacies ne sont-elles pas inondées de produits essentiellement constitués de plantes naturelles ? Et nous utilisons – quelques fois malgré nous — certaines plantes pour certains effets. De la Corse à l’Italie, en passant par la Grèce et le Maroc, le film nous fait découvrir l’utilisation première et ancestrale des plantes sauvages du bassin méditerranéen jusqu’à celle, contemporaine, de la phytopharmacologie. Une connaissance empirique pour un usage domestique, une recherche scientifique pour un usage industriel ou commercial, quelle place ont ces savoirs botaniques dans notre société ?
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Victoria De Peretti