Ce mois-ci, Allindì accueille deux films faisant partie des premiers travaux de deux cinéastes corses d’une même génération. Sont à l’honneur Stridura de Ange Leccia (1980) et Dolce vendetta de Marie Jeanne Tomasi (1988). Deux regards singuliers s’expriment, l’un à travers la technique et la métaphore, l’autre grâce à la narration et la manipulation de codes cinématographiques. Alors que le jeune Ange Leccia crie l’absurdité comme pour expulser une rage, Marie Jeanne Tomasi se paie une douce vengeance sur la société patriarcale de son époque.
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Stridura, Une déflagration.
Un visage immobile, le profil tourné vers la gauche, un bandeau blanc noué sur le front. Le plan n’est pas sans rappeler a bandera, le drapeau Corse. Le visage est celui de Pierre Clementi qui interprète un homme persécuté par une bande de cinq jeunes citadins dirigés au talkie-walkie par un bourreau. Ce dernier commande le groupe derrière des écrans qui diffusent par interférences des images de l’assassinat en cours. L’interprète du régisseur de ce meurtre long et douloureux n’est autre que le même Pierre Clémenti, affublé cette fois d’un costume de patron.
La duplicité, la violence et l’absurdité ainsi que les références à la Corse hantent le court-métrage. Est-ce lié au regard singulier que l’artiste Ange Leccia, porte à cette époque sur son île natale ? À l’image de l’emblème corse, le bandeau blanc porté par la victime sera levé sur le front ou rejeté sur les yeux à plusieurs reprises, pour finalement couvrir le regard de l’homme inerte, accablé par les coups des ses agresseurs. Le titre corse Stridura, signifie « le crie », comme si l’essai filmique du cinéaste voulait libérer une émotion, un sentiment. Il signifie aussi « la gerçure », comme quelque chose d’abîmé, gênant, visuellement chaotique, tout comme le sol foulé par des pieds nus, qui rappellent ceux du prophète martyr.
La gerçure, c’est peut être aussi cette texture granuleuse de l’image diffusée par la télévision et de l’univers sonore du film, dysphonique, mixant des sons synthétiques de machines modernes. Les éléments audios et visuels sont incertains. L’image diffusée par les écrans de contrôle n’est pas fluide, le son synthétique couvre complètement les voix qui pourraient sortir des lèvres mouvantes des personnages. L’image est multiple et passe du monochrome bleu au monochrome rouge, d’un Pierre Clémenti bourreau à un Pierre Clémenti victime, du personnage filmé au personnage diffusé. Jusqu’à ce que l’un des personnages traverse le « miroir » numérique.
Stridura est un des premiers films de Ange Leccia. Le film marque déjà un intérêt profond du vidéaste pour les différentes textures de l’image et du son. La matière audiovisuelle nouvelle qu’il créé dans ce film, défie le réalisme et confie des images sensorielles et métaphoriques à l’interprétation du spectateur. La vidéographie que l’artiste développe par la suite, accentue son goût pour le travail des matières audios, visuelles et organiques.
Lucie Bonvin
Fiche Technique
Titre : Stridura
Année : 1980
Langue : Français
Durée : 13 minutes
Réalisateur : Ange Leccia
Image : Richard Pizon, Antoine Giacomoni, Brigitte Delpech
Montage : Milka Assaf
Productions : Le Groupe de Recherche et d’Essais Cinématographiques